.
.
.

vendredi

dans la maison des psaumes | jour III






III





toi qui n’es que miroir, va-t’en ! va-t’en !, on n’assassine pas le silence
comme on n’enfante pas le temps, va-t’en ! et ne me cherche plus

le troisième jour,
j’ai soufflé sur la lumière et j’ai brisé toutes les lampes, j’ai voulu un miracle de retour et des incendies sur les eaux des miroirs, une pluie de cendres et de pierres, une terre démontée et les restes d’un orage dans la poitrine, une immense vague où étouffer les heures d’attente
le troisième jour, j’ai pris la fuite, j’ai couvert du terrain, j’ai tracé des frontières, je me suis divisé, j’ai cherché à taire une moitié de moi-même, et une moitié seulement a regardé l’horloge, seulement une moitié pour atteindre l’étoile
puis il est déjà midi, on entend quelques bruits dans la pièce d’à-côté, c’est la folie à sa table, elle joue aux dés et ne tire que des trois
c’est aujourd’hui midi et c’est un cheval qui court sur le feu des ombres, c’est une flèche qui ne se connait pas de cible, une steppe à l’infini et une image qui me traque,
c’est le réveil face au peloton d’exécution, avec un rêve à fusiller, avec du sang sur les mains,

– si seulement c’était toi !

si c’était toi,
si toi tu savais qu’il est midi sur le seuil,
comme une clef s’en va faire diversion
un mur sur quatre se renverse,
la porte et la fenêtre entame un dialogue de sourd,
la chambre n’a plus de nom ni de serrure
à midi, le troisième jour,
j’ai accroché une grande croix dans le ciel, un signe d’évidence et un désert de parole

toi qui n’as plus de visage, va-t’en ! va-t’en !, on n’abat pas le silence
comme on ne crucifie pas le temps, va-t’en ! et ne me cherche plus

le jour d’après, un mât dans la poitrine, j’ai creusé un puits, un puits à sec où noyer le souvenir, un trou pour s’y cacher,
j’ai creusé la terre de mes ongles, mes ongles pleins de terre, j’ai creusé un trou où faire danser les petites filles de ma mémoire,
et j’ai incendié cette voix qui me déchirait la tête et j’étais encore le gardien d’une maison ouverte à tous les vents, j’avais chaud, j’avais froid, j’étais torpeur et j’étais exténué d’entendre ce corps entre chien et loup,
fatigué de courir en train, à pied ou même à reculons, fatigué de la tragédie, de tous les express et de l’électricité,
usé par ces villes sans lumière où suivre à la trace la fureur, même absente, même tue,
usé de colère, même sourde, même froide
le jour d’après, une église s’est effondrée sous mes pieds, j’ai convoqué un dieu auprès duquel déchirer ce poème en secret et j’ai donné ma bouche à d’autres bouches et d’autres bouches encore,
le jour d’après,
quelques poussières dans les mains, et là-bas, en face, une longue nuit incertaine

toi qui as mangé ta poitrine, va-t’en ! va-t’en !, on n’endort pas le silence
comme on ne ressuscite pas le temps, va-t’en ! et ne me cherche plus

la nuit, la troisième nuit,
j’ai fait ce rêve où toutes les bouches se refusaient,
c’était la guerre et des colonnes de miroirs prenaient la route,
on construisait des carrières à ciel ouvert, des labyrinthes de couteaux, des tranchées tout au long du soleil,
c’était le grand siècle de l’image, on avait condamné le feu à perpétuité, la ville était couverte de costumes gris, une armée de masques se dressait sur la porte, toutes les fenêtres portaient leurs barreaux sur le dos,
trois lunes se battaient en duel, une foule hurlait à la mort et les chacals attendaient leur heure quand un coup de canon retentit, et toi, et toi,

– si c’était toi ! si seulement c’était toi !

si c’était toi et si tu le savais, la troisième nuit, j’ai fait un rêve de briques et de fleuves, trois fleuves qui me suivaient, trois fois le chiffre trois y fut le reflet de la grande croix dans les eaux, et j’étais déjà douze plus un,
et j’étais en retard, et j’étais l’adoration, le salut des justes ou un été sans sommeil, j’étais désert, j’étais esclave et je marchais à l’aveugle vers quelque terre à conquérir,
j’étais nomade et fugitif, ce train et ce cheval en furie, le temps qui passe et une saison de regrets, j’étais le repentir et la consolation, la main perforée et un mur de lamentations,
si toi tu savais, la troisième nuit, c’est enfin une femme comme un oiseau échappé du ventre, une femme sans bouche et sans visage et je ne me pardonne toujours pas,
la troisième nuit,
c’est une femme, je lui ai donné un nom dont elle n’a pas voulu, elle était fleur, elle était eau, elle était le reflet de son corps sur son propre nom,

toi qui me cherches, va-t’en ! va-t’en !, on ne brûle pas le silence
comme on n’efface pas le temps, va-t’en ! et ne te retourne pas